Rêveries parisiennes

Rêveries parisiennes
Une atmosphère très parisienne, près du musée du Louvre

dimanche 30 janvier 2011

Creil, Saint Just : urbanisation galopante en Picardie

(fin janvier 2011)
Les rames  - bleues foncées -  du RER pourraient donner l’illusion qu’on est à quelques kilomètres de Paris, tout comme les exemplaires du Parisien dans les kiosques. Mais bien qu’à une heure par le train de la gare du Nord, Creil fait partie d’une région dont le froid et l’architecture (recours fréquent aux briques) annonce les Flandres.
Une ville aussi agréable qu’inquiétante par certains aspects. Centre névralgique au Moyen-Age, puis pôle industriel dédié à la faïence et à l’aciérie, avant de s’enliser dans les affres du chômage et des tensions sociales, Creil apparaît à dimension humaine : on en fait le tour en quelques quarts d’heure et on évite, se promenant sur les rives de l’Oise, les tourments du métro. Les gens y sont plutôt souriants. Mais la ville s’est développée d’une manière un peu accélérée et brouillonne, semble-t-il, comme en témoigne l’étau de constructions modernes étouffant une vieille église, Saint Médard. Un clocher coiffé d’un pignon aux arrêtes dentelées, qui frappe par son caractère élancé, et le manque de cohérence avec l’église elle-même, une accumulation de toits trahissant l’absence d’une nef unique.

Saint Médard, une église pittoresque à l'aspect très détérioré

La pierre est noircie, gangrénée, et l’ensemble menace de s’effondrer, en panne de rénovation. Un spectacle triste que celle de ce périmètre urbain qui a perdu son rôle de centre de gravitation d’une ville s’étant déplacée de l’autre côté de l’Oise. Dans les immeubles voisins, comme un peu partout dans la ville, ce ne sont que pizzerias, fast-food à l’oriental et restos asiatiques, reflet d’une population bigarrée et d’une manie généralisée à bouffer trop vite ainsi qu’à moindre prix.


Le pub 129, ouvert jusqu'à 3 heures du matin


Moindre prix ? La ville porte un peu partout les stigmates d’un appauvrissement accéléré. Des tracts distribués par des militants de partis politiques résolument ancrés à gauche la décrivent comme la «huitième ville la plus indigente de France». Le jour, il règne une certaine fièvre dans la gare, en partie hantée par une faune peu rassurante. Et la nuit, un foyer d’agitation persiste à deux pas de là. Mais surprise : un établissement ouvre ses portes jusqu’à 3 h, tous les matins, le 129, en vérité un pub déversant dans la rue une musique assourdissante. Pour ceux aspirant au calme, mieux vaut un arrêt an café Le Gambetta, de l’autre côté de l’artère, portant le même nom, se dirigeant vers le pont enjambant l’Oise. Des clients y discutent de manière cordiale jusqu’à 1 h, sous l’égide de tenanciers détendus. Au comptoir, discutant avec une grappe de clients, un grand gars, discrètement, informe que la maison est aussi un hôtel. Tout au dessus de cet espace sympathique, où le petit noir se limite à un euro (au comptoir comme en salle) : une vingtaine de chambres, fort bien tenues. Le grand gars va jusqu’à raconter ses déboires. «Nous organisions des soirées pour un public gay dans une salle, à côté, et des inconnus ont jeté un cocktail molotov…» Effectivement, un amas de ruines calcinées s’étalent au pied de l’hôtel, témoignant la violence tous azimuts qui mûrit en France et qui éclate, «parfois», de manière absurde et excessive.

Parmi les personnes sympathiques rencontrées à Creil : Anouchka (nom fictif), une femme de 39 ans, aux joues rebondies et aux yeux lumineux, curieuse de savoir pourquoi un inconnu dessinait, dans le plus grand froid, l’église de Saint Médard. Elle est d’origine algérienne, a le tutoiement facile, raconte avoir élevé cinq enfants, dans une ZAC perchée sur la colline voisine, en compagnie d’un mari gentil. Elle se saisit de son portable et montre une peinture représentant un lac, pupille bleutée dans un écrin de collines. «C’est à l’huile et j’avais fait ça il y a bien longtemps. La peinture exige du temps et de l’espace car c’est une activité salissante, avec des tubes de couleurs éparpillés partout… Et puis, quand on s’occupe d’une famille, c’est très difficile de concilier la pratique d’un art et l’éducation des enfants.» Mais Anouchka paraît heureuse, mettant une touche de couleur au milieu de ce sinistre hiver dans l’Oise.

La rue de Beauvais, à Saint-Just, déserte le samedi

Rues interminables et impression de solitude 
La couleur dominante, dans les villes du Nord, c’est le rouge cuivre. Maisons en briques, à un ou deux étages tout au plus, aux fenêtres cernées d’un peu de blancs, blotties les unes contre les autres le long de rues paraissant interminables, avec quelques cafés dont la façade se veut criblée d’enseignes, souvent ovale, vantant des marques de bière… Tel est l’aspect de tant de localités en Picardie et dans le Nord, à la fois paisible et angoissante par l’absence de vie en plein air ; habitants calfeutrés chez eux à cause des griffes que plante férocement le froid. Seules quelques silhouettes voûtées s’aventurent au dehors : des personnes âgées, appuyées sur leur canne, qui sont allées faire leurs commissions.

Voilà bien l’ambiance de solitude et d’abandon qu’on ressent à Saint-Just en Chaussée, sur le plateau picard, à une demi-heure, par le train, de Creil, ou plutôt à mi-chemin entre celle-ci et Amiens. Une église écrase, de tout son clocher, ce bourg comptant 5.000 habitants, qui s’est étoffé autour de quelques rues attelées les unes aux autres comme pour ne former qu’un nombre limité d’axes routiers. Ainsi, la rue de la Libération, à partir du pont traversant la ligne ferroviaire Paris-Amiens, devient la rue de Beauvais, puis à partir d’un croisement avec les rues d’Amiens et Paris elle prend le nom de Montdidier. Curieuse habitude française de compliquer les choses…

5000 habitants : ce chiffre est mentionné par la caissière du tabac vis-à-vis de la gare, qui évoque «une ville dortoir». «On est à une heure et quart au maximum de Paris et de plus en plus de gens viennent habiter ici, car les loyers sont deux fois moins élevés.» Le jeu contraignant des allers-retours au quotidien en vaut largement la chandelle financière.
Et la région se met à souffrir, semble-t-il, des maux affectant la civilisation urbaine fondée sur le fort brassage  - et même, la confrontation -  des strates culturelles et sociales, comme l’indiquent les gros titres d’un journal local, le Bonhomme Picard : «Des individus pillent les vestiaires du stades» (dans la ville proche de Clermont), «La vente de voiture tourne au pugilat (Bornel), «Vol de voiture, trois individus interpellés et placés en garde à vue», «Des plantes illicites dans les Pots de Fleurs» (Rancigny), etc.
Sur le site tenu à jour par la mairie de Saint-Just, on peut lire : ‘Pour le bien être et la sécurité de ses habitants, la ville est équipée d’un système de vidéo protection».
Sur la ligne Paris-Amiens, la gare de Saint-Just en Chaussée