Rêveries parisiennes

Rêveries parisiennes
Une atmosphère très parisienne, près du musée du Louvre

mercredi 22 décembre 2010

De la pure dentelle sous la neige



Notre Dame vue du café Panis
 

Samedi 18 décembre
(Quai de Montebello, Notre Dame)
Ce jour là, un samedi, Paris se réveillait la mine reconfigurée par un fond de teint blanc. Perception différentes des ombres, des contours, voire de formes : ainsi procède la neige, un peu comme la nuit, sa vocation étant de nous torturer (le froid) autant que de remodeler notre regard.
L’Ile de la Cité et le périmètre proche de la rive gauche (Cluny-La Sorbonne, le Panthéon, la place Saint Michel, etc.) : quand voltigent les flocons, le cœur de Paris se fait plus poignant de beauté que jamais, riches de suggestions au fur et à mesure que s’épaissit le blanc manteau. Surtout quand on se met à observer le vaisseau de la Notre Dame, flottant sur un flot de souvenirs.
Je m’y arrête parfois : à l’intersection du Pont au Double (tout en fer forgé) et du Quai de Montebello, j’admire la plus élégante des églises parisiennes. C’est de la pure dentelle, une série d’entrecroisements et d’ondulations, aussi bien horizontales que verticales, frôlant la perfection. Une beauté, une harmonie comme il ne faut pas aller en chercher très loin, quand on a la chance d’être Parisien, pour expérimenter le plaisir des yeux et le vertige de l’histoire.

Donc, samedi dernier, je me suis assis là, et j’ai essayé de dessiner rapidement une partie de la cathédrale. Mais il y avait un monde fou dans le café, j’ai senti que je gênais car monopolisant une place stratégique susceptible d’être «louée» à des consommateurs plus fortunés et donc rentables que moi. C’est devenu la triste loi des établissements parisiens : les garçons, en bons commerciaux qu’ils sont, imposent leur place aux touristes et aux passants. Ils leur infligent des places de première ou de seconde selon l’apparence du consommateur. Pourtant, je n’ai pas à me plaindre : le serveur qui s’est occupé de ma commande m’a gratifié de mots réconfortants : «Prenez donc votre temps, Monsieur…»J’étais donc obligé d’aller vite. L’esquisse initiale ne m’a pas convaincu, et j’y ai ajouté des traits au stylo feutre. En éternel insatisfait qu’il me faut être (n’est-ce pas ?) j’ai pensé que le dessin méritait un surcroît d’attention. Et cela m’a donné envie de filer jusqu’à l’un des magasins de la couronne Gibert, boulevard Saint-Michel, pour moi le joyau, à savoir le département beaux arts. J’y ai acheté quatre tubes de gouache et quand je suis rentré entre les quatre murs que j’occupe (pas chez moi), j’ai corrigé, renforcé certains traits, pour que l’ensemble acquiert davantage de vigueur et de cohérence.

Je n’aime pas trop procéder ainsi, préférant un dessin fait sur place et que je ne retouche plus, d’autant plus que la place où je suis manque un peu.
Mais les yeux changent, tout comme la maîtrise des formes, la conception du temps… et la vue aussi, car au fond les choses ne s’inscrivent-elle pas dans la rétine comme auparavant. Rien n’échappe à la dictature du temps décidé à ne nous accorder aucun répit et à tout chambouler à notre insu. Une fois qu’on a pris conscience de ceci, on a perdu une partie de sa vie.

Dieu merci, Notre Dame survivra toujours à nos malheurs et dans plusieurs dizaine d’année, d’autres yeux s’accrocheront toujours, émerveillés, subjugués, à la toile d’araignée savamment tissée de ses rosaces.

Y. Le H.