A quelques centaine de mètres de la gare Saint-Lazare: Saint Augustin. |
( 12 février 2011)
Il suffit d’un redoux, en plein hiver, pour que Paris se métamorphose et qu’un brin d’insouciance refleurisse sur le bitume tout comme à la terrasse des cafés. Place Saint-Augustin : cette église parmi les plus étonnantes de Paris, coiffée d’un dôme reposant sur des ossatures métalliques, fut conçue par Victor Baltard, le père des défuntes Halles. L’intérieur, poussiéreux, sombre, n’en fait pas une église très mémorable, bien que son orgue soit parmi les plus réputés de France, mais vue de l’extérieur Saint-Augustin a fière allure : l’église parait orchestrer le faisceau de rues qui s’entrecroisent à ses pieds. Et sa coupole se repère de loin.
Le quartier est un pur reflet de l’urbanisme tel que l’avait cogité le baron Hausmann, avec des immeubles à la fois élégants, sobres, respirant une richesse sans trop d’exubérance. Le soleil, qui fait son grand retour, façonne ce pan de ville comme il redonnerait une âme à un jardin pétrifié par le trop long froid hivernal. La pierre se met à chanter, et les balcons, ornés de fers forgés raffinés, paraissent bourgeonner.
Sur la terrasse du Carré, face à l’église Augustin, entre midi et quatorze heures, on peut se faire une idée de la manière dont agit et pensent les strates situées aux étages supérieurs de l’édifice social français. Ne se trouve-t-on pas dans l’un des quartiers les plus chics de Paris? Il suffit de tendre l’oreille pour entendre parler finances, stock actions, investissements et plans de carrière ! Alors que je dessinais l’église qui oscille entre l’art roman et Byzance, un groupe de jeunes plutôt bien sapés prenaient un café. «Notre nouveau directeur vient de Lehman (Brother), expliquait l’un d’eux à ses collègues. On se demande comment on a pu le nommer à ce poste, tant il brille par son incompétence. Et en plus, il donne son aval à des opérations qui sont prohibées depuis longtemps.» S’en suivit une conversation, apparemment innocente, ou bien des gens en prenaient pour leur grade dans ces cercles dorés que sont la finance et les affaires.
A une autre table, trois hommes dans la cinquantaine s’étaient donnés rendez-vous, faisaient connaissance en échangeant leur cartes de visite, et s’engageaient dans une négociation, qui s’annonçait âpre, sur des placements dans le secteur immobilier. A les écouter, on prend conscience de cet esprit de confiance et de prudence qui régit les sphères dirigeantes, où tout prend des allures de politesse parfois froide. Rien d’impulsif, d’imprévu : tout mûrit à l’heure dite, et chacun se raccroche aux autres pour s’assurer sa part de prospérité. La contrepartie de ceci : un monde lisse, aux apparences sereines, où il n’y a pas de place pour l’improvisation et la contestation.
Quand on vient des faubourgs de Paris, qu’on subit les affres du chômage, de la désagrégation sociale, qu’on entend fuser, aux pieds des HLM, des gros mots et qu’on assiste à la recrudescence de toute une économie parallèle structurée autour de petits trafics, on a l’impression de tomber de très haut en dessinant l’église Saint Augustin et en s’imprégnant de telles conversations où il est question de haute voltige financière sur fond de profitabilité. On imagine combien il est doux, parfois, de vivre dans un monde de brutes boursières et entrepreneuriales plutôt que de mener une vie en marge de la société. C’est là, pourtant, le long des boulevards tracés au cordeau, que se décide chaque jour en partie le sort du monde, un sort lié à tant d’opérations complexes se tramant derrières d’harmonieuses et rigoureuses façades haussmanniennes.
Le quartier est un pur reflet de l’urbanisme tel que l’avait cogité le baron Hausmann, avec des immeubles à la fois élégants, sobres, respirant une richesse sans trop d’exubérance. Le soleil, qui fait son grand retour, façonne ce pan de ville comme il redonnerait une âme à un jardin pétrifié par le trop long froid hivernal. La pierre se met à chanter, et les balcons, ornés de fers forgés raffinés, paraissent bourgeonner.
Sur la terrasse du Carré, face à l’église Augustin, entre midi et quatorze heures, on peut se faire une idée de la manière dont agit et pensent les strates situées aux étages supérieurs de l’édifice social français. Ne se trouve-t-on pas dans l’un des quartiers les plus chics de Paris? Il suffit de tendre l’oreille pour entendre parler finances, stock actions, investissements et plans de carrière ! Alors que je dessinais l’église qui oscille entre l’art roman et Byzance, un groupe de jeunes plutôt bien sapés prenaient un café. «Notre nouveau directeur vient de Lehman (Brother), expliquait l’un d’eux à ses collègues. On se demande comment on a pu le nommer à ce poste, tant il brille par son incompétence. Et en plus, il donne son aval à des opérations qui sont prohibées depuis longtemps.» S’en suivit une conversation, apparemment innocente, ou bien des gens en prenaient pour leur grade dans ces cercles dorés que sont la finance et les affaires.
A une autre table, trois hommes dans la cinquantaine s’étaient donnés rendez-vous, faisaient connaissance en échangeant leur cartes de visite, et s’engageaient dans une négociation, qui s’annonçait âpre, sur des placements dans le secteur immobilier. A les écouter, on prend conscience de cet esprit de confiance et de prudence qui régit les sphères dirigeantes, où tout prend des allures de politesse parfois froide. Rien d’impulsif, d’imprévu : tout mûrit à l’heure dite, et chacun se raccroche aux autres pour s’assurer sa part de prospérité. La contrepartie de ceci : un monde lisse, aux apparences sereines, où il n’y a pas de place pour l’improvisation et la contestation.
Quand on vient des faubourgs de Paris, qu’on subit les affres du chômage, de la désagrégation sociale, qu’on entend fuser, aux pieds des HLM, des gros mots et qu’on assiste à la recrudescence de toute une économie parallèle structurée autour de petits trafics, on a l’impression de tomber de très haut en dessinant l’église Saint Augustin et en s’imprégnant de telles conversations où il est question de haute voltige financière sur fond de profitabilité. On imagine combien il est doux, parfois, de vivre dans un monde de brutes boursières et entrepreneuriales plutôt que de mener une vie en marge de la société. C’est là, pourtant, le long des boulevards tracés au cordeau, que se décide chaque jour en partie le sort du monde, un sort lié à tant d’opérations complexes se tramant derrières d’harmonieuses et rigoureuses façades haussmanniennes.
Cet immeuble étonnant, faisant penser à un paquebot, abrite le Cercle national des Armées |
Pas de quoi me plaindre, toutefois : les garçons qui s’occupent de la terrasse du Carré me laissent tranquille, à l’heure où les tables les mieux situées, celles au soleil, se font rares. Semblable tolérance vis-à-vis des artistes croqueurs de monuments et paysages urbains n’est pas forcément de circonstance : il m’est déjà arrivé de me faire jeter de plusieurs terrasses dans les beaux quartiers.
Autre café où je prendrai tout mon temps, sans avoir l’impression d’agacer les serveurs (soucieux, il est vrai, de m’assurer leur bienveillance en commandant un petit noir à trois reprises, agrémenté d’un café, ce qui me vaudra un «investissement» fort raisonnable avoisinant 10 euros) : le Grand Augustin, à deux pas du Carré, d’où l’on peut voir se nouer plusieurs grandes artères dont le Boulevard Malesherbes et la rue de la Pépinière. Drôle de rue : en provenance, elle mériterait le titre de boulevard ou d’avenue, en particulier parce qu’elle longe un immeuble parmi les plus stupéfiants de Paris, abritant le Cercle national des Armées. Son entrée donne sur la Place Saint Augustin, mais pour se faire une idée de l’originalité de cette construction, il faut l’admirer depuis ladite rue. L’idée peut alors venir qu’il s’agit d’un paquebot prêt à prendre le large, avec certaines fenêtres évoquant des hublots. D’ailleurs, des officiers étrangers et français en provenance de tous les continents séjournent dans ces murs, où perdure l’écume de la tradition tandis que la marée des voitures, aux alentours, égratigne un peu les belles perspectives parisiennes…
Y. Le. H.
Autre café où je prendrai tout mon temps, sans avoir l’impression d’agacer les serveurs (soucieux, il est vrai, de m’assurer leur bienveillance en commandant un petit noir à trois reprises, agrémenté d’un café, ce qui me vaudra un «investissement» fort raisonnable avoisinant 10 euros) : le Grand Augustin, à deux pas du Carré, d’où l’on peut voir se nouer plusieurs grandes artères dont le Boulevard Malesherbes et la rue de la Pépinière. Drôle de rue : en provenance, elle mériterait le titre de boulevard ou d’avenue, en particulier parce qu’elle longe un immeuble parmi les plus stupéfiants de Paris, abritant le Cercle national des Armées. Son entrée donne sur la Place Saint Augustin, mais pour se faire une idée de l’originalité de cette construction, il faut l’admirer depuis ladite rue. L’idée peut alors venir qu’il s’agit d’un paquebot prêt à prendre le large, avec certaines fenêtres évoquant des hublots. D’ailleurs, des officiers étrangers et français en provenance de tous les continents séjournent dans ces murs, où perdure l’écume de la tradition tandis que la marée des voitures, aux alentours, égratigne un peu les belles perspectives parisiennes…
Y. Le. H.